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  • Photo du rédacteurPierre Pascual

Un saut dans le connu.

Dernière mise à jour : 4 févr.


« Hunter Nights » est terminé.

En parler je ne peux pas.

Si je pouvais parler de ce film, je ne l’aurais pas tourné, tourné dans tous les sens, de l’écriture au montage. Est-ce d’ailleurs un film ? La question reste en suspens. C’est un pan de ma vie, avec ses mots, ses rencontres, ses désirs. J’en suis désormais éjecté et c’est pour cela que je dois me taire. Tout ça a été vécu, investi ; tout ça doit trouver d’autres réceptacles : écrans ou corps.  

Autour du film je peux parler, revenir à la source. Tout remonte à 2015. J’étais dans le Périgord, dans une petite maison pas loin de la rivière. Je plongeais dans les forêts et les livres, cherchant à soigner une carrière musicale avortée en pleine ascension ; je reprenais peu à peu gout à la vie après une décennie de concerts, de clips, de danse, d’expérimentations sonores et visuelles en tous genre ; après la déchéance, l’épuisement, la pauvreté, les envies d’en finir puis une hospitalisation choisie, je sauvais ce qu’il restait à sauver, enfermé avec mes carnets, à écrire, pour ne pas sombrer.

Quand le corps a été calme, rassuré, je suis revenu à l’envie de faire un film. C’était mon deuxième amour, après la musique à laquelle j’avais donné dix années de ma vie. Thierry, mon compagnon des concerts, des clips et des chansons, a bien voulu m’aider.

Alors qu’on écrivait le film et que j’alignais des voix-off dans mon cahier, un livre est né. « Rose Turningham » fut en 2016 la première parution du Sélénite, la maison d’édition que je créai un an après, tirée à 110 exemplaires, dont une partie a été utilisée pour le tournage. Ce livre est un objet magique qui apparait dans le film et qui m’a aidé à le construire, à le légitimer, parce qu’à la base tout est solitude, nuit, écriture. Hunter Nights n’est rien sans Rose, Rose n’est rien sans Hunter ; ils sont les faces d’une même pièce, translucide ; si on regarde l’un de ces visages, l’autre se superpose immédiatement. 

Le tournage a commencé un an après la parution du livre, presque jour pour jour. Je l’ai produit moi-même, ce qui m’a valu de devoir attendre deux ans pour le finir. J’ai constitué début 2017 une équipe artistique et technique quasiment parfaite (je ne les remercierai jamais assez de m’avoir suivi dans cette folie) et nous avons tourné 12 jours, du 21 juillet au 1er aout de la même année dans le Périgord Noir où nous avions écrit les premières scènes. Devant la caméra, Beatrice Arnac, Lola Jeannel, Thierry Chollet-Berger et de belles âmes folles qui m’ont dit oui sans hésiter.

Ce premier tournage a été la chose la plus épuisante, la plus absurde et la plus gratifiante que j’ai connue de ma vie : devant et derrière la caméra, au script et aux accessoires, dévalant des collines avec un sac à dos de plusieurs kilos, dansant sous la pluie, parlant à mon amie imaginaire, seul au monde, perdu, connecté, Hunter et Rose ont été investiEs et vécuEs.

Tout aurait pu s’arrêter là.

Ce film à micro-budget, victime des caprices de la météo, s’est heureusement réinventé au tournage, puis au montage. J’ai tiré sur des fils ; l’Espace s’est engouffré.

Ce n’est qu’en le faisant que j’ai compris ce que je faisais. Mes mères symboliques ont tiré à boulet rouge sur mon projet de réalisation personnelle. Je les ai laissées me parasiter ; l’histoire s’est développée, avec ses frasques, ses aspérités. J’avais encore à en découdre avec le Spectacle.

À l’été 2018, nous avons tourné 4 jours à Paris, du 2 au 5 juillet, dans le magnifique hotel particulier de Michel, avec Marie-France Garcia, Gwendal Raymond et Jean-Luc Verna. Les fils se tissaient et les corps queers se déchaînaient : je ne pouvais pas me perdre dans la forêt, invoquer ce corps nouveau sans provoquer en duel les fantômes de mon passé. 

Mais il manquait toujours la fée, l’enfant, les étoiles… En mai 2019 j’ai tourné deux derniers jours dans un lieu dont jamais je n’aurais osé rêver : l’Observatoire de Camille Flammarion, en banlieue sud de Paris. 

Le dernier jour de tournage — avec Gabin, l’enfant que j’espérais, l’enfant que j’ai été, et avec Miss Botero que je voulais tellement pour ce projet — reste l’un des souvenirs les plus doux et les plus émouvants : une malle aux merveilles ; une bâtisse abandonnée ; Gabin et Rose dansant dans le jardin, là où Loïe Fuller, la fée lumière, avait présenté sa danse nocturne un siècle auparavant. 

Un an d’écriture, deux ans de tournage, presqu’autant de montage, puis un an et demi de post-production — chaque étape ayant nécessité de renflouer les caisses.

En plein montage je me suis retrouvé confiné au Maroc. Cette coupure forcée d’un an et demi m’a permis de penser à autre chose et de prendre du recul.

Ce que je n’ai pas dit c’est qu’à cette étape, le film était devenu une mini-série de 5 épisodes.

En 2021 j’ai remonté le film, pour en arriver au film en trois parties qui existe aujourd’hui. 

La première partie est certainement le film dont je rêvais, extrême, âpre-doux, ouvert, comme un livre, absent au spectacle, là dans l’Univers. 

Les parties 2 et 3 sont la destruction et la clarification de mon projet parasité par les autres, par mon histoire, leurs histoires, les deux mères, un tout et le rien, un rien qui est tout, comme le vide d’avoir tellement embrassé la mort aura permis ce prologue, ce nouveau début. 

Est-ce que ce film est le film que j’ai écrit ? Je ne sais plus. Il a quitté depuis trop longtemps les territoires du rêve. Je ne me rappelle plus ce que je pensais de lui lorsqu’il n’existait pas, comme un enfant qu’on porte et pour lequel on rêve d’une grande école, d’une vie paisible et pour qui on est prêt, par amour, à de grands écarts quand l’enfant décide d’être artiste ou poète…

Ce soir je tape ce texte sur l’ordinateur où j’ai écrit le livre puis monté le film ; je dois taper plusieurs fois sur certaines lettres pour qu’elles apparaissent ; la machine est épuisée, cassée. Elle va s’éteindre, comme moi.

Resteront les oeuvres apparues. 

Je ne sais plus ce que j’ai à voir avec tout ça. Je ne sais plus ce que je vois.  Alors j’écris.

Je veux écrire ; j’ai besoin d’écrire. 

Qui va lire? Qui va voir? Qui va écouter?

Ce n’est pas mon affaire et c’est une toute autre histoire. 

C’est absurde de créer un blog en 2024.

Tout autant que ça l’est d’aimer et d’espérer.

Au moins ça s’écrit, ça apparait. 

J’ai traversé plusieurs nuits. J’y vais, je ne réfléchis pas.

Je veux dire que je suis fier de donner mon sang, parce que c’est grâce à celles et ceux qui m’ont donné le leur, en d’autres temps, que je suis encore vivant.

Un corps créant. 

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